Jean-Loup Amselle et Ellkia M’Bokolo
Au cœur de l’ethnie
Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique
PRESENTATION DE L’ŒUVRE ET DE SON CONTENU

Jean-Loup Amselle et Elikia Mbokolo à travers cet
ouvrage, montrent et démontrent par des études monographiques que l’ethnie est
une pure création, une création coloniale. En effet l’ouvrage est en quelque
sorte une compilation de textes d’auteurs différents tels que Jean-Loup
Amselle, Jean-Pierre Dozon, Jean Bazin, Jean- Pierre Chrétien, Claudine Vidal
et Elikia M’Bokolo, traitant de la notion ethnique dans différents pays. Et
tout au long de l’ouvrage on essaie de montrer comment avec la colonisation la
notion d’ethnie’’ a été créé de toute pièce par les colonisateurs.
Alors l’objectif de Au
cœur de l’ethnie est de renforcer un processus de déconstruction de l’objet
ethnique. Le processus de décolonisation commence avec Nadel dès 1942, il faut
ensuite attendre P. Mercier, J. Lombard, et F. Barth pour que la percee théorique
de Nadel soit approfondie, enfin c’est avec Watson, élève de M. Glauckman que
s’est produite la véritable rupture avec l’ethnologie coloniale.
L’ethnie comme de nombreuses institutions primitives, ne
serait qu’un faux archaïsme de plus. Mais s’il n’existait pas d’ethnies avant
la colonisation qu’y avait-il donc ? Dans quel cadre les acteurs sociaux
s’organisaient-ils ? pour répondre à ces questions Amselle avance que le
continent africain était structurait en des espaces sociaux comme suit : Il
s’agit : des espaces d’échanges ;
des espaces étatiques, politiques et guerriers, des espaces
linguistiques, des espaces culturels et religieux.
En effet durant la période précoloniale et même bien
avant (XVe) l’arrivée des portugais les sociétés africaines ne vivait pas recluse
sur elle-même. Il y avait des échanges entre les sociétés. On retrouvait également
des réseaux d’échanges entre unités sociales de tailles et de structures
diverses.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’Afrique,
on retrouve des Etats, des royaumes, et des empires qui pouvaient regrouper
milliers ou dizaines de milliers de villages et qui s’étendaient parfois sur
des superficies considérables. (L’empire Songhay, par exemple). Il y avait des
processus de composition, de décomposition et de recomposition qui se déroulent
à l’intérieur d’un espace continental. Des ‘’sociétés englobantes’’
c’est-à-dire les Etats, royaumes, empire
et chefferies, qui possèdent la capacité maximale de délimitation de l’espace. Ces
Etats exercent une forte pression sur les ‘’sociétés englobées’’ (sociétés
d’agriculteurs), et favorisent les divisions en leur sein, accentuant ainsi
leur caractère ‘’segmentaire’’.
Dans le texte de Jean-Pierre Dozon intitulé Les
Bété : une création coloniale, traite de l’organisation des structures
sociales de la Cote d’Ivoire durant les périodes précoloniale et coloniale.
Dozon, à travers des investigations, prouve que les bété en tant
‘’ethnie’’, est une création coloniale. En
Côte d’Ivoire on note principalement
deux grands groupes ‘’ethniques’’ les Akan qui seraient originaires du Ghana,
exactement de l’ancien royaume Ashanti, composé de (Baoulé, Agni etc.) et les
Krou (Bété, Wobé, Dida, Guéré). En effet ce sont Maurice Delafosse,
administrateur colonial français, ethnologue, linguiste et M. Thonmann, qui ont théorisé l’ethnicité bété entre
1901-1904. Selon eux les Bété viendraient du Liberia et à la suite de
migrations, ils se seraient installés dans le Centre-Ouest de la Cote d’Ivoire.
Mais des investigations menées chez les trois grands groupes que composent
l’ethnie Bété appelé communément ‘’Bété de Gagnoa’’, attestent que les intéressés
ignoraient ce désignatif avant la période coloniale. Les Bété eux-mêmes disent
qu’ils viennent du nord, de l’Oust, et de l’est de la Cote d’Ivoire. Les Akan considèrent
les Bété comme étant un peuple belliqueux, qui n’aime pas l’agriculture. Et même
durant la phase de conquête et de pacification qui s’est déroulée sur cinq ans
(1907-1912), les responsables militaires affirment que la découverte du peuple
Bété ne s’appuie sur aucune connaissance
antérieure, mais qu’en outre ce pays est peuplé de groupes distincts méritant
chacun un vocable particulier.
Dès les débuts de l’installation française chez les Bété,
un désarmement général des populations est effectué. Le pays Bété est entièrement
pacifié et forme trois grands postes. Dans leur esprit, il s’agit de créer un
nouvel espace qui soit aisément contrôlable et qui permette à terme sa mise en
valeur économique. On leur imposait de payer des impôts, de s’adonner à des
activités qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire comme la culture du cola. Ce
dispositif coloniale s’est heurté à des résistances de la part des Bété, et a
poussé une partie importante de la population bété à migrer vers la Basse Cote (Grand-Lahou
et Grand Bassam) ou se trouvent les Akan constitués de Baoulé et de Agni. La
Basse Cote une zone d’attraction pour la présence des principaux centres urbains.
En effet les Bété auront du mal à s’intégrer, les jeunes migrants découvrent
une contrée ou la colonisation a largement amorcé son œuvre. Comme conséquences
ils sont confrontés à une réalité qui les place d’emblée au bas de l’échelle
sociale et les confine durablement au rôle de manœuvre ou de subalterne. C’est
sur cette base que se dessinent les rudiments d’un stéréotype et d’une
conscience ethnique. Les bété ne sont pas présents dans les affaires
politiques. Et en retour leurs terres sont exploitées par les allochtones.
CRITIQUE DE
L’OEUVRE
Au cœur de l’ethnie est un ouvrage qui permet aux
africains d’être conscients des notions d’ethnie et de tout ce qu’on dit à
propos de l’ethnie. Comment comprendre que durant la période précoloniale on ne
parlait pas d’ethnie en Afrique et qu’il faut attendre la période coloniale
pour nous en parler. Ce qui m’a le plus marqué c’est qu’un européen ait écrit
pour défendre une Afrique qui semble inconsciente des conséquences qui peuvent decouler de l’objet
ethnique.
D’ailleurs Jean-Loup Amselle auteur principal de l’œuvre,
dans son article De la déconstruction de l’ethnie au branchement des cultures :
un itinéraire intellectuel par Jean-Loup Amselle dit : ‘’ […], aucune
des sociétés que j’ai étudiées sur le terrain ne m’a semblé correspondre à ce
qu’e l’on nous avait enseigné sur les bancs de l’université. On nous avait
parlé des dogons, des nuers, et des tallensis, de sociétés sans Etats et
de sociétés a Etats, du polythéisme et
de l’islam, de l’oral et de l’écrit. Or aucune de ces catégories et aucune de
ces oppositions binaires ne me semblait rendre compte de façon permanente de la
fluidité sociale et historique de la région où je menai des enquêtes. Au lieu
d’ethnies repliées sur elles-mêmes, de systèmes politiques et d’appréhension du
monde bien délimités, je me trouvai confronté à des systèmes hybrides et à ce
que j’ai appelé des ‘’logiques métisses’’. Pour moi, comme pour certains collègues,
le choc fut rude car il fallait penser’ ’contre’’ et trouver d’autres
paradigmes, situation qui, comme on sait, n’est pas toujours confortable,
l’université favorisant la reproduction des modelés prévalent ou au mieux un écart
réglé par rapport à ceux-ci.’’
‘’Je peux comparer légitimement les cultures peuls,
bambaras, malinké, senufo et minyanka parce qu’elles sont historiquement liées,
mais je peux difficilement comparer, fut-ce sous l’angle de leurs différence,
la culture française a la culture bambara puisque, avant la colonisation, elles
n’ont jamais entretenu de rapports. ‘’
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